
Huit ans après le début de la crise syrienne, les Etats de la région s’apprêtent à réintégrer progressivement Damas dans le cercle diplomatique du monde Arabe. Pourtant, il n’y a toujours pas de consensus entre les Etats membres de la Ligue Arabe concernant la réintégration de la Syrie dans cet organe. La question de la légitimité de Bachar al-Assad restera probablement une question controversée, qui amène l’Arabie Saoudite et le Qatar dans un alignement ironique, mais sans surprise.
Malgré les prédictions largement
répandues selon lesquelles les discussions sur le retour attendu de
la Syrie au sein de la Ligue Arabe après sa suspension
en 2011 domineraient le 30e sommet de l’organisation le mois dernier
en Tunisie, ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, une foule
d’autres questions, telles que la position de l’administration
Américaine sur le plateau du Golan, les attaques Israéliennes
contre Gaza, la guerre civile au Yémen et la crise
politique en Algérie.
Ainsi, la Syrie reste
suspendue de la Ligue Arabe. Néanmoins, un nombre croissant
d’Etats membres espèrent que Damas revienne après toutes ces
années, et il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’ils
changent leur position. En outre, un plus grand nombre d’Etats
membres en viendront très probablement à la conclusion que la
victoire du président Bachar al-Assad dans la guerre civile
Syrienne exige de faire face à l’inévitable et de réintégrer son
gouvernement dans le cercle diplomatique du monde Arabe.
Alors
que de plus en plus d’Etats du monde Arabe adoptent cette position,
il y aura néanmoins des problèmes difficiles après le retour du
régime Syrien dans la ligue. Ils devront faire face aux
ramifications régionales. L’Iran, qui considère la survie
d’Assad comme la victoire de Téhéran, sera
probablement encore plus enhardi après le retour de la Syrie
dans le «championnat». La République Islamique en viendra
probablement à considérer la survie du régime Syrien comme un
témoignage de la capacité de l’Iran à atteindre ses
objectifs politiques dans le monde Arabe grâce à une politique
étrangère audacieuse, ainsi qu’un signe de faiblesse de la part de
son ennemi juré, l’Arabie Saoudite.
Les facteurs
nationaux dans les pays Arabes sont également en jeu. Les
gouvernements Arabes qui semblent disposés à pardonner à Assad
doivent faire face à la contradiction perçue dans leur adhésion au
régime Syrien. Après tout, depuis 2011, de nombreux médias et
personnalités politiques et religieuses du monde Arabe Sunnite, dans
le Golfe en particulier, n’auraient pas pu mieux condamner Assad
pour ses violations des droits humains, le qualifiant constamment de
« boucher » ou de « voyou » qui a perdu sa
légitimité.
Certes, bien que la tendance régionale reste
favorable à la ré-acceptation du gouvernement Syrien, il n’y a
actuellement pas de consensus sur cette question. Peut-être que 2020
se terminera avant qu’on n’en atteigne un. Le fait qu’une réunion
des ministres Arabes à Amman fin Janvier et le dernier sommet
de la Ligue Arabe se soient achevés sans aucun accord sur la
question du retour d’Assad illustre à quel point la question
reste controversée, du moins pour le moment.
Parmi les monarchies du Golfe,
le Qatar, l’Arabie Saoudite et le Koweït n’ont
pas encore normalisé leurs relations diplomatiques avec Damas.
Pour Doha et Riyad, qui ont fourni l’essentiel du
soutien aux rebelles , les raisons de ne pas rétablir les liens avec
le gouvernement Syrien tiennent principalement au fait que les
conditions et les facteurs qui ont conduit à l’expulsion de Damas
de la Ligue Arabe n’ont pas changé. Malgré la crise des
relations entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, Riyad
et Doha restent, ironiquement, sur la même longueur d’onde en
ce qui concerne le gouvernement Syrien reconnu sur le plan
international.
Néanmoins, bien qu’en Janvier, le Qatar
ait exclu la possibilité de rouvrir son ambassade en Syrie,
au début du mois, Damas a accédé à la demande du Qatar,
qui lui a demandé d’autoriser Qatar Airways à utiliser
l’espace aérien Syrien. Cette évolution a encore souligné la
lenteur de la réhabilitation du gouvernement Assad au sein de
l’organe du Moyen-Orient.
La position officielle de
l’Arabie Saoudite repose sur le fait que le dialogue avec le
gouvernement Syrien ne peut commencer qu’après l’unification de
l’opposition Syrienne et ne peut engager le régime Saoudien d’une
seule voix. Toutefois, au début du mois, des représentants
Saoudiens ont assisté à Bagdad à une réunion à laquelle
participaient non seulement leurs homologues Syriens, mais aussi ceux
de l’Iran et de la Turquie, indiquant au moins une
certaine volonté de la part des dirigeants Saoudiens de commencer à
traiter avec le régime Assad comme le gouvernement Syrien
légitime. De nombreux rapports émanant de sources proches des
autorités de Damas et de Moscou suggèrent également
que Riyad est sur le point de rétablir ses relations avec la
Syrie.
L’appréhension du Koweït est davantage
liée à la volonté d’Al Sabah de ne poursuivre le
rapprochement avec Damas qu’une fois que les membres de la
Ligue Arabe auront décidé de réadmettre la Syrie.
L’autre problème du Koweït concerne l’argent donné à la
rébellion anti-Assad par les salafistes conservateurs du
Koweït, un facteur qui continue à entraver les relations en
coulisses.
D’un autre côté, une poignée d’Etats Arabes qui
s’étaient auparavant rangés du côté d’Assad d’une manière
ou d’une autre, se sont rapprochés de la reconnaissance de sa
légitimité. Bien que les Emirats Arabes Unis (EAU) et
Bahreïn n’aient jamais été aussi favorables aux rebelles
Syriens que l’Arabie Saoudite ou le Qatar,
principalement en raison des craintes d’Abu Dhabi de voir les
islamistes prendre le pouvoir dans une Syrie post-Assad
et du partenariat croissant du Bahreïn avec la Russie,
les EAU comme le Bahreïn ont renoué leurs liens avec
la Syrie en Décembre après les avoir coupés durant la
guerre civile Syrienne. Toujours en Décembre, le président
Soudanais de l’époque, Omar Hassan al-Bashir, s’était rendu
à Damas en tant que premier chef d’Etat Arabe à rencontrer
Assad dans la capitale Syrienne depuis 2011.
Le Maroc et la Tunisie ont également exprimé leur préférence pour le retour de la Syrie dans la Ligue Arabe. L’année dernière, des rapports ont fait état des projets du président Mauritanien de se rendre à Damas. L’Egypte est passée de l’anti-Assad au pro-Assad après le coup d’Etat du 3 Juillet 2013. L’Algérie, le Liban, l’Irak et Oman, qui n’ont jamais rompu leurs liens avec la Syrie depuis 2011, n’ont clairement aucune objection à ce que les autres gouvernements Arabes rétablissent leurs relations avec Damas.
Un nombre croissant d’Etats Arabes soutiennent la reprise du gouvernement Syrien en raison de leurs propres problèmes internes. Refuser de rétablir les relations avec Damas tant que le régime d’Assad n’aura pas mis en œuvre les réformes de libéralisation créerait un précédent qu’aucun autre Etat de la région n’a intérêt à soutenir. Les gouvernements de l’Algérie, du Bahreïn, de l’Irak et du Soudan ont peut-être survécu aux soulèvements de 2011, mais ils sont aujourd’hui confrontés à des crises politiques internes majeures non résolues et à des transitions délicates.
En réalité, la légitimité de nombreux gouvernements Arabes étant remise en question par des segments de leur propre société alors que les dirigeants plus âgés se retirent ou sont écartés, l’élite dirigeante de la plupart des capitales Arabes n’a aucun intérêt à assister à une transition « à la Tunisienne » à savoir de l’autocratie à la démocratie, y compris en Syrie. Même si la Syrie n’a pas été réadmise à la Ligue Arabe à la fin du mois dernier en Tunisie, les dirigeants et représentants des Etats membres présents ont exprimé leur solidarité avec les dirigeants à Alger et Khartoum. Cette rhétorique a montré un niveau de soutien d’un régime à l’autre à une époque d’instabilité croissante dans le monde Arabe. Naturellement, ces conditions régionales sont de bon augure pour la réintégration complète du gouvernement Assad dans le corps diplomatique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Les questions de sécurité sont également en jeu. Étant donné que de nombreux groupes extrémistes violents qui ont versé du sang en Syrie sont de nature transnationale et sont connus pour traverser les frontières internationales à la recherche constante de nouvelles zones d’influence, la coopération antiterroriste avec le gouvernement Syrien est privilégiée. Cet intérêt à collaborer à la lutte contre le terrorisme est particulièrement fort avec la Tunisie et d’autres Etats Arabes qui abritent des milliers de militants de Daesh qui se sont déjà établis à Raqqa, Deir ez-Zor, Baghouz et d’autres villes Syriennes et pourraient essayer de retourner dans leur pays d’origine. De plus, alors que la guerre civile Libyenne s’intensifie et que Daesh exploite l’escalade de la violence pour se réaffirmer dans le paysage politique fragile de l’Afrique du Nord, les gouvernements du Maghreb verront probablement la réconciliation avec Damas comme une forme de sagesse aux fins du partage du renseignement pendant que les terroristes traversent la région.
Pour l’avenir, la Syrie est prête à poursuivre sa réintégration progressive dans l’arène diplomatique du monde Arabe. Alors que chaque membre de la Ligue Arabe a un point de vue unique sur la crise Syrienne et sur le leadership d’Assad, d’autres gouvernements Arabes cherchent à rétablir les relations avec Damas. Toutefois, il est fort probable que le retour du régime de Damas au sein de la Ligue Arabe produira la controverse dans la région. Les Etats Arabes seront probablement divisés entre des régimes comme l’Algérie et l’Egypte (qui voient dans le « triomphe » d’Assad une victoire des forces de la « laïcité » sur le terrorisme djihadiste) et les Etats qui considèrent Assad comme un criminel de guerre que la région réintègre.
Par Giorgio Cafiero et Theodore Karasik
Traduction Alexandra Allio De Corato
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